Voir fiche de l'ensemble du poème (notamment un découpage résumé) : Apollinaire : Alcools - Vendémiaire

Introduction

Le poème «Vendémiaire», qui clôt le recueil Alcools, publié en 1913 par Guillaume Apollinaire, chantre de la modernité poétique, présente plusieurs points communs avec «Zone», qui ouvrait le recueil. Ce sont tous les deux d'amples poèmes (174 vers pour «Vendémiaire») qui évoquent Paris et une vaste promenade en Europe. Dans «Vendémiaire» le poète rapporte un dialogue entre Paris et le monde : Paris s’adresse aux villes de France et d’Europe pour dire sa soif et leur demander de couler dans sa gorge. Vont répondre, successivement, la Bretagne, le Nord, Lyon etc. et, à la fin du poème, après un élargissement universel, le poète se présente comme le «gosier de Paris» qui a «bu tout l’univers». Lisons de près les 21 premiers vers où Paris est louée et son appel introduit. 

Découpage de l’extrait du poème
Ces 21 vers sans ponctuation sont regroupés en strophes de longueur inégale, au contenu bien distinct.
• la première met en place la situation d’énonciation: le poète s’adresse à la postérité;
• la deuxième est une louange de Paris;
• la troisième strophe est narrative : le poète raconte comment il a entendu la «chanson de Paris»
• la quatrième introduit Paris, premier interlocuteur du dialogue
• la cinquième est l’appel de Paris au monde, rapporté au style direct
• la sixième reprend brièvement la narration (avant de donner la parole aux autres villes)

Explication linéaire 

  • Le titre «Vendémiaire» est le nom du premier mois du calendrier républicain français, qui faisait commencer l’année à l’équinoxe d’automne: le moment des vendanges. Ce moment est aussi le début de l’année civile selon la Bible : Rosh Hashana, la tête de l’année, est une fête importante du judaïsme; le calendrier de l'empire byzantin commençait au 1er septembre. Faire commencer l’année lorsque l’ensoleillement décline nous entraîne à fixer nos regards vers l’avenir lorsque nous pourrions être tentés de nous abandonner à la fatigue. Cela permet d’associer renouveau et mâturité: la civilisation européenne est arrivée à mâturité et Paris, en la vendangeant, devient, au début du XXe siècle, le centre de la modernité artistique, d’un renouveau culturel. Enfin, ce titre fait écho au titre du recueil Alcools et annonce clairement la thématique du vin et de l'ivresse, qui va être développée dans tout le poème. 
  • Le v.1 commence par une apostrophe, «Hommes de l’avenir...»: au moment de nous quitter, le poète s’adresse ainsi à ses lecteurs, se projette lui-même et projette son œuvre dans l’avenir. «Zone», au début du recueil, contenait aussi plusieurs apostrophes; et l’auteur s’y adressait notamment à lui-même, mais à la deuxième personne «tu», alors qu’ici il dit «je» et s’adresse à son lecteur: «souvenez-vous de moi». Par ailleurs le mot «avenir», bien mis en évidence à la coupe de ce premier alexandrin, confirme que le poète, au moment de clore son recueil, regarde vers le futur. 
  • Cependant, dans cette première strophe, les vers suivants sont teintés de nostalgie : «Je vivais à l’époque où finissaient les rois / Tour à tour ils mouraient silencieux et tristes.» La diérèse dans silenci-eux, amplifiant le -i-, enrichit l'assonnance plaintive de cette voyelle. Les v.2 à 4 nous rappellent que notre civilisation est à son automne. Par ailleurs, ces premiers alexandrins du poème sont tous réguliers et classiques, avec une coupe nette à l’hémistiche, une rime suffisante et une syntaxe qui respecte le vers: ils auraient contenté Malherbe. Dans cette première strophe, la ponctuation peut être rétablie sans équivoque. 
  • C’est au quatrième vers qu’Apollinaire vient nous surprendre: l'adjectif trismégistes, épithète du dieu Hermès en tant qu’inspirateur de littérature ésotérique, est tout à fait inattendu ici. Il signifie ‘trois fois très grands’. Nous y retrouvons l'intérêt éclectique d'Apollinaire pour tout ce qui est mythique et hermétique. Apollinaire veut-il suggérer que les rois, de chefs de guerre qu’ils étaient, deviennent, sous le patronage du dieu Hermès, des inventeurs et des artistes? Ce qualificatif attribué aux rois qui disparaissent est annoncé par le complément de l’adjectif courageux : trois fois. Que veut dire Apollinaire avec cette épithète détachée «trois fois courageux»? Son caractère hyperbolique et épique complète l’évocation nostalgique d’un glorieux passé. Mais le nombre trois fait-il référence à quelque fait précis, ou ne sert-il qu’à annoncer trismégiste? Mystère! En tout cas le nombre trois donne une coloration liturgique, lyrique, hymnique à ce début de poème. Ce registre va se confirmer dans la suite. 
  • La deuxième strophe est nettement lyrique. Elle s’ouvre par une exclamation admirative: «Que Paris était beau à la fin de septembre!». Ce v.5 contient aussi le premier écho explicite au titre du poème: «à la fin de septembre», à l’automne, au moment  des vendanges. Enfin, il introduit l’autre personnage important du poème après le poète lui-même : la ville de Paris.
  • Après s’être extasiée sur la beauté de Paris, la deuxième strophe développe la description avec une métaphore filée : la «nuit» est une «vigne» dont les «pampres» donnent de la lumière; ces lumières sont des «astres mûrs»... S’agit-il des réverbères alignés tout au long des boulevards de Paris, répandant «leur clarté sur la ville»? On reconnaît là l’Apollinaire chantre de la modernité, celui qui célèbre les inventions technologiques (voiture, avion...), poète de la ville à la suite de Baudelaire. La présence des oiseaux qui becquettent les «astres mûrs» confirme qu’il s’agit des lampes artificielles, des réverbères sur lesquels ils peuvent se poser. Cependant, cette interprétation pose un problème de cohérence du point de vue: si les «astres mûrs» que sont les réverbères sont «là-haut» c’est que l’on est au sol, dans la rue; mais si l’on voit les «pampres» alignant ces réverbères, c’est qu’on est en surplomb, depuis la Tour Eiffel ou depuis Montmartre. 
  • Cette deuxième strophe prend des libertés avec le vers, en alignant plusieurs enjambements : contre-rejet au v.6 du Sujet «les pampres» de la proposition du v.7 «répandaient...», contre-rejet au v.7 du Compl. circ. de lieu «là-haut» qui portent sur les deux vers suivants. Dans l’ensemble, cependant, la syntaxe privée de la ponctuation n’est pas équivoque: la proposition subordonnée introduite par le pronom relatif «où» au v.6 se développe en deux parties coordonnées par «et» : «répandaient...» et «attendaient»: les pampres attendaient la vendange. Le v.8 est en Apposition au Sujet «pampres». C’est au v.9 que l’absence de ponctuation peut faire hésiter sur le découpage syntaxique : le groupe nominal prépositionnel «De ma gloire» est-il
    - Compl. d’Objet indirect de «attendaient» : les pampres attendaient de moi que je les vendange
    - Compl. du nom «vendange» : les pampres attendaient la vendange (l’épanouissement) de ma gloire
    - Compl. de «ivres oiseaux» (il y aurait donc rejet) : les oiseaux sont ivres de ma gloire
    Quant au groupe «de l’aube» il est plutôt circonstanciel (qui a lieu à l'aube), même si grammaticalement il est Compl. du nom «vendange». 
  • Le lyrisme admiratif du v.5 est prolongé dans la strophe par le caractère répétitif de cette beauté «Chaque nuit» + imparfait itératif (devenait, répandaient, attendaient), par la métaphore filée de la vigne pour évoquer les artères de la Ville Lumière. 
  • Après l’évocation lumineuse de la deuxième strophe, la troisième s’adresse au sens de l’ouïe: «j’entendis une voix», «chantait», «voix limpides» etc. Cette troisième strophe est nettement narrative: elle s’ouvre avec le Compl. circ. de  temps «Un soir» et contient le premier verbe au passé simple : «j’entendis», évènement qui se détache d’un arrière-plan au participe présent «passant», gérondif «en rentrant», imparfait duratif «qui chantait». Le poète rappelle ainsi le moment de l’inspiration: il a entendu une voix.
  • Comme dans «Zone», ou «Le Pont Mirabeau», comme chez Baudelaire, ce moment est ancré dans un quotidien tout personnel: «en rentrant à Auteuil»... 
  • Cette troisième strophe poursuit l’introduction de l’ensemble du poème en désignant «d’autres voix» que celle de Paris. Paris, «se taisant quelque fois», se met à l’écoute des autres villes qui vont lui répondre. 
  • La quatrième strophe est un distique qui prolonge le quintil précédent: «j’écoutai» succède à «j’entendis». Le poète a saisi l’évènement de l’inspiration et se met résolument, «longtemps» à l’écoute. Attentif à son lecteur, il prend la peine de rappeler que c’était de «nuit» (v.16), une nuit qui ne s’achèvera qu’à la toute fin du poème (v.174 «le jour naissait à peine». 
  • La cinquième strophe est du discours rapporté au style direct: c'est la première d'une longue série de prosopopées tout au long du poème. Apollinaire donne la parole à Paris: le J’ du v.17 n’est plus le même qu’aux v.15-16; la ponctuation ne le marque pas mais ce changement de locuteur est confirmé par l’apostrophe ternaire avec polysyndète «ville de France et d’Europe et du monde»: style qui tranche avec celui du poète narrateur, lequel n’accouplait les épithètes ou les noms que par deux (ex. «déserts et sombres», «ces chants et ces cris» etc.) Cette accumulation est aussi une gradation, un élargissement universel qui annonce la suite du poème. 
  • A la sixième strophe la narration reprend, avec «Je vis alors». Paris vendange sa propre vigne, de nuit. Au v.20 la louange de Paris amorcée au v.5 est amplifiée avec l'hyperbole «le plus doux de la terre», et l’Epithète «miraculeux», en écho au v. suivant. 

Conclusion 

Ainsi, ces 21 premiers vers de «Vendémiaire» constituent un préambule complet de l’ensemble du poème: introduction des personnages et interlocuteurs (le poète, Paris et les autres villes), regard de louange tourné vers l'avenir et l'univers, annonce de la thématique de la soif universelle et de l'ivresse. Ce thème de l'ivresse poétique rappelle Baudelaire, notamment les «transports de l'esprit et des sens» dans Correspondances et précède les expériences d'ivresse et de rêve des surréalistes. 

Questions de compréhension:

  1. Quel est le premier vers qui, faisant écho au titre, le justifie? 
  2. Quel est le Sujet du verbe ‘attendaient’ (v.9)?
  3. Quel vers, constituant une phrase, pourrait s’achever par un point d’exclamation? 
  4. Dans quelle ville Apollinaire réside-t-il depuis 1909?
  5. A qui appartient la voix que le poète entend au v.11?
  6. Quel mot indique, dans les vers précédents, qu'à partir du v.17 le poète développe une prosopopée en faisant parler Paris?
  7. Quel est le premier vers annonçant qu’après avoir fait parler Paris, le poète donnera la parole à d’autres villes dans la suite du poème?

Questions d'analyse

  1. Quel mot de l’extrait est de la même famille que le titre? 
  2. A quel vers commence le premier enjambement de cet extrait? 
  3. Quel vers n’est pas un alexandrin?
  4. Quel vers contient une triple apostrophe avec une polysyndète? 

Hermès Trismégiste (en grec ancien Ἑρμῆς ὁ Τρισμέγιστος / Hermễs ho Trismégistos : Hermès le trois-fois-très-grand) est un personnage mythique de l'Antiquité gréco-égyptienne. Il correspond au dieu égyptien Thot considéré comme l'inventeur de tous les arts, de toutes les sciences et comme l'auteur de nombreux écrits hermétiques, dont les plus connus sont le Corpus Hermeticum, recueil de traités mystico-philosophiques, et la Table d'émeraude.

Réponses aux questions de compréhension:

  1. v. 5 : ‘à la fin de septembre’ (Vendémiaire est le premier mois du calendrier révolutionnaire, qui commençait à l’équinoxe d’automne, le 23 septembre)
  2. pampres (S de ‘répandaient’ et ‘attendaient’)
  3. v. 5
  4. Auteuil (v.11 ‘en rentrant à Auteuil)
  5. Paris (une voix / Qui chantait...v.11-12, ... la chanson de Paris v.16)
  6. ‘chanson’ v.16
  7. v. 14 (La plainte d’autres voix...)

Réponses aux questions d'analyse:

  1. v.9 vendange 
  2. v. 6 enjambement (...où les pampres / Répandaient...)
  3. v. 19 (4+4+4+3)
  4. v. 17 (villes de France ET d’Europe ET du monde)

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