1203 Hélas ! je le voudrais, quant à moi, de bon coeur :
Je ne garde pour lui, Monsieur, aucune aigreur ;
Je lui pardonne tout, de rien je ne le blâme,
Et voudrais le servir du meilleur de mon âme ;
Mais l'intérêt du Ciel n'y saurait consentir,
Et s'il rentre céans, c'est à moi d'en sortir.
Contexte: Au début de l'Acte IV, extrait d'une tirade de Tartuffe à Cléante: ce dernier est venu demander à Tartuffe d'intervenir en faveur de Damis auprès de son père Orgon, qui vient de le déshériter et chasser. En effet, à la fin de l'Acte III, Damis, ayant surpris Tartuffe en train de courtiser sa mère Elmire, a provoqué un scandale. Mais Orgon, aveuglé par son amitié pour Tartuffe, s'est mis en colère contre son fils Damis.
Analyse syntaxique : phrase complexe en 4 membres [v.1203 : v.1204 ; v.1205-1206 ; v.1207-1208] (les membres sont distingués par une ponctuation moyenne : ; )
- v.1205-1206 : membre complexe contenant trois propositions indépendantes juxtaposées puis coordonnées
- v.1207-08 : membre complexe contenant trois propositions: une indépendante, une subordonnée conjonctive puis sa principale
Procédés et interprétation
- redondance et répétition aux v.1204+1205 (pardon), v.1203+1206 (bonne volonté): cette redondance d’arguments trahit la mauvaise foi de Tartuffe: il nous apparaît d’autant plus suspect qu’il éprouve le besoin de répéter sa protestation de bonne foi.
- opposition (Mais v.1207): Tartuffe argumente; il concède le pardon, proteste de sa bonne volonté mais oppose quelque chose de massif, l'intérêt du Ciel.
- antithèse : dans le v.1205, le chiasme du Compl. d'Objet constitue l'antithèse «tout» / «rien»; cette formulation redondante trahit aussi l'hypocrisie.
- Le 2° hémistiche des v. 1203 et 1204 commence chaque fois par un indice personnel d’énonciation: quant à moi / Monsieur. Le premier indice désigne le locuteur, le second désigne le destinataire. C’est un procédé d’argumentation qu’emploie ici Tartuffe: il souligne d’abord, la main sur le coeur, sa bonne foi, puis il renforce le contact avec celui qui l’écoute (captatio benevolentiae: acquisition de la bienveillance des auditeurs)