Questions de compréhension 

  1. Dans la première phrase, quel mot appartient au même champ lexical que le titre du livre X ?
  2. Aux l.64 à 69, quelle expression et quels pronoms font écho à «dons du ciel» (l.1) et reprennent tout ce qui a été énuméré ? 

Questions d’analyse

  1. Combien ce texte contient-il de phrases ? 
  2. Quelle est la nature des mots qui constituent l’énumération aux l.2 à 5 ? aux l. 6-7 ? (surligner chaque fois le mot principal des groupes)
  3. Dans l’énumération l.2 à 24, quel adverbe exprime clairement le rapport logique d’opposition? 

Pour l’épreuve orale du baccalauréat, retenir les l.1 à 24 + 65 à 69. 

Introduction

Le livre X des Caractères de La Bruyère, intitulé «Du Souverain et de la République», est consacré aux questions politiques, à la gestion de l'État. On y trouve peu de satire et beaucoup de maximes, de conseils et d’observations. La remarque 35 est la dernière du livre X, toutefois elle apparaît dès la première édition des Caractères, en 1688. Elle consiste en une ample énumération des qualités requises pour être un bon roi. C’est une des plus longues de cette œuvre discontinue: elle compte 69 lignes, mais n’est constituée que dedeux phrases, la première d’une ligne, la deuxième de 68 lignes. 

Pour l’explication, nous nous concentrerons sur les lignes 1 à 24 et 64 à 69. Le début du fragment traite des qualités de tempérament et de comportement nécessaires au souverain pour tenir son rôle social; la fin est une conclusion et un compliment à Louis XIV. Dans cette  explication linéaire, on peut se demander quel est la place du souverain dans la comédie sociale, tant à la cour, que face au peuple ou devant les étrangers. 

Lecture 

Découpage de l’extrait 

Dans l’extrait étudié (l.1 à 24 + 64-49), se retrouvent les trois parties inégales de ce long fragment 

  1. l.1 annonce du thème du fragment : les qualités nécessaires à un roi
  2. l.2-24 énumération des qualités (naissance, tempérament, dons intellectuels, vertus morales etc.)
  3. l.64-69 conclusion et compliment à Louis XIV

Explication linéaire

1. la première  phrase est exclamative: elle est introduite par l’adverbe « que », avec l’inversion du Sujet « faut-il » qui produit ainsi l’effet d’une question rhétorique : procédé d’insistance pour souligner qu’il faut de très nombreux dons du ciel pour régner; cette hyperbole suggérée est renforcée par la forme exclamative, qui traduit l'admiration de l'auteur;

2. la deuxième phrase, fort longue, consiste d'abord en une ample énumération, alternant des noms (par ex. l.2 à 6 : naissance…, air d’empire…, visage…., grand éloignement…) et des verbes à l’infinitif (par ex. l.6 à 8 : ne point céder à…, être toujours…); 

- certains des noms de l’énumération reçoivent de nombreuses et vastes expansions, notamment « capacité » (l.24 à 35), « puissance » (l.45 à 52)

- les différentes parties de cette longue énumération sont seulement juxtaposées; seule la dernière est introduite par un connecteur: « enfin » l.60

- le rythme des membres de phrase est souvent croissant, par ex. 
   - une naissance auguste : seulement une Epithète
   - un air d’empire et d’autorité : deux Compléments du nom
   - un visage qui remplisse… et qui conserve… : deux propositions subordonnées relatives Compléments de l’antécéddent

Tous ces procédés d'amplification alimentent le caractère prodigieux de cette accumulation de qualités. 

Pour donner de la variété à son propos, La Bruyère présente ces qualités en un véritable foisonnement: 
 - qualités naturelles: tempérance et maîtrise de soi (l.4-8), cœur et esprit (l.8-15)
 - vertus morales: raison l.6, justice l.20-22
 - talents et capacités: discernement l.15-20, mémoire l.22-24, «une vaste capacité» l.24-35
Dans cette partie de l'énumération retenue pour l'examen, se trouvent les qualités qui permettent au roi de jouer son rôle social, à la cour, devant son peuple, face aux étrangers etc. Ce sont les qualités qui permettent au bon monarque d'être l'arbitre de la comédie sociale. 

- alternance de rythme ternaire (l.2-3 « Une naissance…, un air…, un visage… », l.21-22 « en faveur du peuple, des alliés, des ennemis ») et binaire (l.5-6 « un grand éloignement… ou assez de raison », l.7-8 « ne point céder à la colère, et être toujours obéi »)
Ainsi, le caractère possiblement fastidieux d'une telle énumération est contrebalancé par un certain lyrisme foisonnant 

- la variété est aussi entretenue par des antithèses et des alliances de contraires : 
   - «le cœur ouvert...» «être secret toutefois» l.8-11;
   - «une vaste capacité, qui s’étende...» «mais qui sache aussi se renfermer au dedans...» l.24-29
La capacité d'allier les contraires est une qualité suréminente: c'est une perfection dans la sagesse de savoir déployer telle vertu dans telle circonstance, telle autre dans une autre...

3. L'ample énumération qui fait la plus grande partie de la deuxième phrase aboutit, après un double-point (l.64), à une réflexion sur « ces admirables vertus » qui permet d’achever le chapitre X par un compliment au Roi Louis XIV: on reconnaît ce dernier au surnom qu’on lui donnait déjà de son vivant: Louis le « Grand ». 

Cette longue énumération trouve ainsi sa pointe, parce qu'elle s'incarne dans un exemple: c'est une surprise, car il était difficile d'imaginer qu'un même homme pût avoir reçu tant de «dons du ciel» (l.1). La remarque 35 du Livre X devient panégyrique, éloge du Roi. 

Cette remarque sert aussi de conclusion au livre X des Caractères
 - la fermeté d’un bon monarque (évoquée aux lignes 4 «égalité d’humeur», 7 «ne point céder à la colère», et  52 à 56) fait contrepoint avec la pusillanimité d’un Démophile (n°11, 6ème éd.)
 - la capacité à «se renfermer au dedans, et comme dans les détails de tout un royaume» (l.29) fait écho à la remarque 24 (4ème éd.) sur la «science des détails»

Conclusion

Ainsi, dans cette longue remarque 35 du Livre X, la variété des qualités évoquées pour un bon monarque, leur foisonnement, les effets de rythme maintiennent notre attention. Outre les vertus intérieures («coeur ouvert», «vaste capacité»...), il y est fréquemment question des talents nécessaires pour que le monarque garde la maîtrise de tous dans la comédie sociale: «un air d’empire et d’autorité», «être secret» etc. 

La longueur de l'énumération aboutit à un compliment au roi. Ainsi, dans cette remarque, l'auteur sait ménager ses effets. Il l'a placée en fin du chapitre consacré au Souverain et à la République, comme une conclusion. Pour une fois, il semble se faire lui-même courtisan.