Introduction

La Satire VIII de Boileau est intitulée : «Sur l'homme». Son propos d'ensemble est clairement énoncé au vers 4 : «Le plus sot animal, à mon avis, c’est l’homme.» Comme quelques autres satires du recueil, elle est adressée à quelqu'un en particulier : ici le doyen Morel, de la Faculté de théologie de Paris. Un peu plus haut que l'extrait à commenter, au vers 234, Boileau a fait dire à son interlocuteur : «L’homme, venez au fait, n’a-t-il pas la raison ?». L'occasion est donc donnée de contre-argumenter, en montrant que la raison ne sert de rien à l'homme, que celui-ci est plus sot que tous les animaux. Ce propos est un peu outré, ce qui rend la satire incisive. L'extrait à étudier est constitué des vers 247 à 272: la première moitié (v.247-258) illustre, en partant d'une comparaison avec l'âne, l'inconséquence et la pusillanimité de l'homme; la deuxième moitié (v.259-272), en tirant aussi parti d'une comparaison avec les animaux, développe en particulier le thème de la superstition. Qu'est-ce qui rend cette satire efficace, tant pour nous morigéner ou nous édifier que pour nous faire sourire? 

 

Découpage du texte :

- v.247-251 : l'âne, «sans avoir la raison», se conduit bien; 

- v.252-258 : l'homme, bien que doué de raison, agit de façon incohérente; 

- v.259-266 : les animaux ne connaissent pas la superstition; 

- v.267-272 : exemples de superstition chez l'homme.  

Dans ce texte argumentatif, chacune des quatre parties soutient une thèse. Cet extrait de 26 vers est constitué de seulement 5 phrases. Cependant, ces périodes sont souvent découpées par des ponctuations moyennes: la deuxième, notamment, se subdivise en cinq membres de phrase (deux fois le double-point; deux fois le point-virgule). 

Texte avec analyse préparatoire et surlignage : pdf 

 

v.247-251 : le modèle de la sagesse, c’est l’âne

la première phrase de l’extrait attribue toutes les qualités de sagesse à l’âne: instruit, obéissant, sans murmure, n’agit point follement, marche sur sa route, reste à sa place; 

présenter l’âne, animal réputé stupide, comme modèle de sagesse est osé, et Boileau insiste sur son choix en introduisant son exemple par la locution adverbiale pour le moins (par laquelle il oppose l’âne à Cotin, mauvais poète, dont il vient de faire le procès); 

les 5 alexandrins de cette première phrase sont très cadencés, avec une coupe nette à l’hémistiche, les v.250 et 251 ayant même une assonnance à la coupe (chansons/raison); la construction de la phrase est binaire elle aussi, en deux membres, le premier contenant deux propositions principales; ce rythme binaire très marqué martèle, non sans une certaine aigreur (elle-même soulignée par l’allitération en -r- : pour, nature, murmure, bizarre, avoir, raison, marche, route...); 

cette première phrase de l’extrait soutient une deuxième thèse, sous-jacente: la nature fait bien les choses (par ex. les oiseaux savent chanter), elle est un bon guide

cette deuxième thèse sous-tend l’antithèse entre instinct (faculté animale) et raison (faculté humaine), qui va être développée; 

 

v.252-258 : l’homme, bien que doué de raison, se conduit de façon hasardeuse

le début de cette deuxième phrase de l’extrait est construit de façon parallèle à la première: Sujet (âne/homme), mot de liaison (pour le moins/seul), expansion du nom (instruit par la nature/qu’elle éclaire)

l’opposition avec ce qui précède est fortement marquée par l’Epithète seul : l’homme, lui, n’est pas sage comme l’âne; 

ce deuxième moment de l’extrait est constitué de la plus longue période: les trois premiers vers (252-254) développent la thèse au présent de vérité générale, les quatre suivants (255-258) mettent en scène des exemples au présent d’habitude; 

la raison, entendue comme ensemble des facultés intellectuelles de l’homme, a été nommée au v.251; ici, cette faculté est évoquée deux fois : (l’homme) qu’elle éclaire, réglé par ses avis puis nommée à nouveau au v.254, alors qu’elle est impuissante à gouverner l’homme (Si l’homme était vraiment réglé par [les]avis de la raison, ferait-il tout à contre-temps?); pour souligner cette absurdité du comportement humain, le même mot est repris dans sans raison (v.256) mais au sens de «sans motif»; 

l’inconstance, l’incohérence de l’homme est aussi soulignée par plusieurs figures de rhétorique: la double antithèse au v.255 (vers parfaitement binaire); l’anaphore sans raison pour introduire l’antithèse est gai/s’afflige au v.256, la longue accumulation de 9 verbes égrénés par antithèses évite/poursuit, défait/refait, augmente/ôte..., introduite par le Compl. circ. au hasard, qui fait écho à sans raison

 

v.259-266 : les animaux, eux, ne sont pas corrompus par la superstition et l’idolâtrie

deux phrases interrogatives (questions rhétoriques) de 4 vers chacune, de construction strictement parallèle : voit-on/vit-il suivi de propositions infinitives avec un seul Sujet pour trois verbes à l’infinitif: l’argumentation continue d’être très serrée; 

la première phrase évoque la superstition, par exemple autour du nombre 13 qui, au v.261, n’est pas nommé mais seulement suggéré (nombre impair, plus de douze), comme par imitation de la superstition; la deuxième phrase illustre l’idolâtrie (le mot idole apparaît au v.264, avec des termes cultuels : sacrifier à, adorer, demander à genoux...)

la variété dans ce troisième moment de l’extrait vient des exemples: ours, panthèses, corbeau... 

la cause du dérèglement de l’homme est suggérée par le terme chimères (v.260): c’est l’imagination qui mène l’homme à la superstition et l’idolâtrie; celle-ci est donc plus forte que la raison, en l’homme; les animaux, eux, ont l’instinct pour guide ne tombent pas dans ce travers; 

dis-moi : dans cette incise, Boileau s’adresse à son destinataire, le doyen Morel, comme pour le forcer à reconnaître la pure vérité de ce qu’il énonce; 

 

v.267-272 : l’idolâtrie, chez les hommes, va jusqu’au ridicule 

Non v.266 : cette dernière phrase de l’extrait commence par répondre à la question rhétorique, comme pour souligner l’évidence; et l’opposition entre l’homme inconstant et la bête sage est encore signifiée par la conjonction mais; encore des procédés pour «serrer» l’argumentation; 

Boileau fournit encore trois exemples d’idolâtrie : le premier est biblique (on pense au veau d’or en particulier, et à l’interdit exprimé au livre du Lévitique 19, 4 : «Ne vous tournez pas vers les idoles et ne vous faites pas fondre des dieux de métal.»); le deuxième fait peut-être référence à Hanuman, le dieu-singe des Hindous car il est situé dans un pays imprécis (v.269) alors que le troisième est explicitement situé en Egypte: il s’agit du dieu-crocodile Sobek; ces exemples présentés comme hypotypose, de façon hyper-réaliste (singe assis sur leurs autels, encensoir à la main...) deviennent comiques, ridiculisent l’homme; 

le terme d’anatomie hypocondre lorsqu’il est employé comme adjectif prend un sens figuré pour signifier «mélancolique, fou, extravagant»: n’est-ce pas encore suggérer le rôle néfaste de l’imagination? 

toute cette deuxième moitié de l’extrait est structurée par la reprise du verbe «voir», quatre fois: «voit-on» (v.259), «l’homme ... vit-il...» (v.263), «la bête a vu..» (v.267) et «A vu» (v.269), chaque fois suivi de trois propositions complétives infinitives: voilà encore de ces procédés argumentatifs très insistants... 

 

Conclusion

Ce texte constitue une hyperbole globale, où l'homme est accusé d’être plus sot que l'âne et que tous les animaux. Comme Boileau l’affirme lui-même, sa Satire VIII est «tout à fait dans l’air de Perse», le satiriste latin qu’il qualifie de «Philosophe chagrin mais plein de sens qui châtie le vice avec la férule». Les nombreux parallélismes, avec les autres procédés d’insistance, les exemples hyperboliques concourent nettement à morigéner l’homme «avec la férule». Cette argumentation très serrée ne manque toutefois pas de sel, grâce à la variété des exemples, dont certains sont comiques. Du reste, montrer l'incohérence de l'homme à travers le thème de la superstition est un argumentaire adéquat pour convaincre un théologien comme le Docteur Claude Morel, doyen de la Faculté, auquel Boileau s'adresse ici. 

 

 

Plan de commentaire composé 

I - Une argumentation serrée, rigoureuse et insistante

une thèse dans chacune des quatre parties de l’extrait; une argumentation directe, énonciation ancrée, des phrases rigoureuses et bien enchaînée etc. 

II - Puissance de l’imagination et faiblesse de la raison : qu’est-ce que la sagesse?

l’âne, contrairement à Cotin, ne se prend pas pour un poète; l’homme se conduit de façon incohérente; l’âne est obéissant etc. 

III - Un satire très expressive de l’homme et de l’idolâtrie 

évocation ironique ou précise de la superstition et idolâtrie; 

 

Autre plan de commentaire composé 

I - Un texte vivant et expressif

II - Une argumentation explicite et serrée

III - Un texte de moraliste qui nous morigène