Introduction
En 19 avant J.C., sous le règne d'Auguste, premier empereur romain, Virgile meurt sans avoir terminé la relecture et correction de son oeuvre maîtresse: l'Enéide. Cette épopée dont le héros est le prince troyen Enée retrace les origines mythiques des Romains. En effet, après une longue errance en Méditerranée, Enée s'installe en Italie, où il épouse Lavinia, fille du roi Latinus. Son fils Iule, quant à lui, fondera la ville d'Albe-la-Longue où, plusieurs siècles plus tard, naîtront Romulus et Rémus.
Commentaire dans le cadre de l'objet d'étude « Les dieux dans la cité »:
Le genre épique apparaît généralement le premier en littérature: c’était le cas pour Homère, durant le Moyen Âge grec; ce fut le cas des chansons de geste durant le Moyen-Âge de l’Occident chrétien. Or, à Rome, l’épopée apparaît à une époque de refondation.
Virgile compose l’Énéide au début du règne d’Auguste. Le premier empereur romain avait à cœur de restaurer la romanité traditionnelle, de redonner vie au vieux romain pieux, paysan et soldat. Virgile, protégé de Mécène, le « ministre de la culture » d’Auguste, s’inscrit, comme Tite-Live, dans cette vision politique.
C’est pourquoi dès l’incipit Virgile évoque la piété d’Énée, fondateur légendaire: « insignem pietate virum », qui a pour mission d’importer les dieux de Troie dans le Latium « inferret deos Latio ».
Par ailleurs, Énée, modèle du légionnaire romain, doit affronter toutes sortes d’épreuves, « tot volvere casus », « tot adire labores ».
Or, c’est la force et la violence des dieux d’en haut, « vi Superum », en particulier la « cruelle Junon », qui est à l’origine des épreuves d’Énée. Le champ lexical religieux est très riche dans ces quelques vers, les dieux sont nommés de nombreuses fois: « Vi Superum », « Junonis », « deos », « numine », « animis cælestibus »…
Les Romains avaient une conception juridique de la religion: les dieux ont des droits que les hommes doivent respecter. Cette conception apparaît dans un détail du texte « quo numine laeso » : « par quelle puissance divine lésée ». Le verbe laedo, dont laeso est le participe passé passif, signifie « blesser » mais s’emploie fréquemment dans le contexte juridique, c’est pourquoi il a donné le français « lésé » (de ses droits). (Exemple, Cicéron, Pro Muréna « si iniuste neminem laesit »; s’il n’a lésé personne injustement…)
Quant au poète, il se place lui-même, selon la tradition littéraire, sous l’autorité et l’inspiration de la muse: c’est à Calliope, la muse de l’épopée, qu’il demande la mémoire de toutes ces choses « causas ».
Texte latin avec exerc. d'analyse des verbes : pdf
Analyse des formes verbales
- cano (1 sg pr cano, is, ere, cecini, cantum): je chante
- venit (3 sg pf venio, is, ire, veni, ventum): il vint
- jactatus (N sg m part passé jacto, as, are, avi, atum) + est > pf passif: il fut jeté, balloté
- passus (N sg m part passé patior, eris, pati, passus sum - dép.) + est > pf passif: il souffrit
- conderet (3 sg subj impf condo, is, ere, condidi, conditum) après dum + subj > trad. à l’ind: il fondait
- inferret (3 sg subj impf infero, fers, ferre, tuli, latum) après dum + subj > trad. à l’ind: il importait
- memora (2 sg impér pr): rappelle
- laeso (Ab sg n de laesus, a, um part passé de laedo, is, ere, laesi, laesum): blessé, outragé (part employé comme adj > Epit. de numine)
- dolens (N sg f part pr doleo, es, ere, dolui, dolitum): souffrant (part employé comme adj > Epit. de regina)
- volvere (inf volvo, is, ere, volvi, volutum): rouler, courir
- adire (inf adeo, is, ire, ivi, itum): aller vers
- impulerit (3 sg subj pf de impello, is, ere, puli, pulsum) subj car interrogative indirect > trad. à l’ind: elle poussa, elle imposa
Analyse des autres mots
- primus (N sg m > Epit de qui)
- Italiam (Ac sg > CC lieu où l’on va (se rapporte à venit))
- fato (Ab sg > C d’Agent de profugus)
- profugus (N sg > Epit de qui)litora (Ac pl > CC lieu où l’on va (se rapporte à venit))
- terris (Ab pl > CC lieu)
- Superum (G pl > Cdn vi)
- multa (Ac n pl de multus, a, um : en grand nombre, nombreux) > COD de passus : ayant souffert de nombreuses choses
- quoque + et > il souffrit aussi beaucoup
- bello (Ab sg): à cause de, par la guerre
- dum (conj sub) : pendant que, alors qu’il poursuivait le projet de fonder une ville et d’importer ses dieux dans le Latium
- unde : d’où, de là (+ verbe être ss-entendu > fut, advint...)
- genus Latinum (N sg) : la race latine
- Albani patres (N pl) : les pères albains
- moenia (N pl de moenĭa, ium, n. pl. : les murs, les murailles)
- Romae (G sg)
- Musa (V de Mūsa, ae, f. : une des Muses)
- mihi (D de ego) : à moi
- causas (Ac pl) : les causes
- memora (2 sg impér) : rappelle
- quo (Ab sg adj interrog): par quel...
- numine (Ab sg de nūmĕn, inis, n. : assentiment, volonté ; volonté des dieux, puissance divine; un dieu, une divinité)
- laeso (Ab sg du part pass de laedo, is, ere, si, sum : blesser, endommager, nuire à)
- quid (Ac sg pr interrog > COD de dolens)
- dolens (N sg part pr de dŏlĕo, es, ere, ui, itum : souffrir)
- -ve (conj coo) : ou
- regina deum (=deorum) : la reine des dieux
- insignem pietate virum (Ac sg > COD de impulerit ou S des infinitif volvere et adire)
- tot casus (Ac pl de casus, us m): tant de hasards
- tot labores (A pl) : tant de peines
- tantae irae (N pl): tant de colères (+ sunt : il y a)
- -ne (part interrog)
- animis caelestibus (Ab pl) : dans les âmes célestes