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La Bruyère : Les Caractères - I. Des ouvrages de l'esprit
1 (I)
Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent. Sur ce qui concerne les mœurs, le plus beau et le meilleur est enlevé ; l’on ne fait que glaner après les anciens et les habiles d’entre les modernes.

5 (V)
On a dû faire du style ce qu’on a fait de l’architecture. On a entièrement abandonné l’ordre gothique, que la barbarie avait introduit pour les palais et pour les temples ; on a rappelé le dorique, l’ionique et le corinthien : ce qu’on ne voyait plus que dans les ruines de l’ancienne Rome et de la vieille Grèce, devenu moderne, éclate dans nos portiques et dans nos péristyle. De même, on ne saurait en écrivant rencontrer le parfait, et s’il se peut, surpasser les anciens que par leur imitation.
(I) Combien de siècles se sont écoulés avant que les hommes, dans les sciences et dans les arts, aient pu revenir au goût des anciens et reprendre enfin le simple et le naturel !
(IV) On se nourrit des anciens et des habiles modernes, on les presse, on en tire le plus que l’on peut, on en renfle ses ouvrages ; et quand enfin l’on est auteur, et que l’on croit marcher tout seul, on s’élève contre eux, on les maltraite, semblable à ces enfants drus et forts d’un bon lait qu’ils ont sucé, qui battent leur nourrice.
(IV) Un auteur moderne prouve ordinairement que les anciens nous sont inférieurs en deux manières, par raison et par exemple : il tire la raison de son goût particulier, et l’exemple de ses ouvrages.
(IV) Il avoue que les anciens, quelque inégaux et peu corrects qu’ils soient, ont de beaux traits ; il les cite, et ils sont si beaux qu’ils font lire sa critique.
(IV) Quelques habiles prononcent en faveur des anciens contre les modernes ; mais ils sont suspects et semblent juger en leur propre cause, tant leurs ouvrages sont faits sur le goût de l’antiquité : on les récuse.